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Canaille le Rouge, son c@rnet, ses p@ges.

Espace d'échanges, de rêves, de colères et de luttes. Alternative et horizon communiste. point de vue de classe.   Quand tout s'effondre, ce n'est pas aux causes des ruines de gérer le pays mais à ceux qui sont restés debout.

Aragon, écoutez voir [♫ ♫],une histoire d'O

Publié le 30 Novembre 2012 par canaille le rouge in la culture et les idées

http://www.tbclrarebooks.com/pictures/medium/31216.jpg

 

 

La Canaille a eu un jour la surprise de tomber sur un bouquin de Jean D'Ormesson intitulé la Douane de Mer. Une empoignade homérique entre deux hommes ou se reconnaissent comme nez au milieu de la figure l'auteur et Aragon. 

le résumé présentant le bouquin est bien fait, je vous le livre : 

"L'auteur meurt à la première ligne. Au moment où il survole, avec un sentiment de mélancolie dû à sa situation, la Douane de mer à Venise, il tombe sur un esprit venu d'Urql, dans une lointaine galaxie, pour étudier l'univers. L'esprit surgi d'ailleurs s'appelle A. Il considère avec stupeur une planète dont il ne sait rien et qu'il a du mal à comprendre. Le défunt s'appelle O. Avant de quitter à jamais pour une destination inconnue les bonheurs et les plaisirs de notre vallée de larmes, O va présenter le monde à son nouvel ami. Trois jours durant, à l'usage des gens d'Urql qui ont le malheur d'ignorer que nous sommes le centre de tout, A et O, aile contre aile, parcourent l'espace et le temps et rédigent un rapport sur la Terre et les hommes."

 

Sans aller jusqu'à évoquer Montaigne et La Boétie et le célèbre "c'est parce que c'était lui, parce que c'était moi", le choc de deux navires culturels, politiques, adversaires résolus, où les ailes de deux anges servent de plumes démoniaques à deux écrivains.

 

Une admiration de celui qui croit au ciel pour celui qui n'y croit pas, controverse permanente qui n'accepte pas le naufrage du débat d'idée.

 

Une déclaration d'admiration sans concession pour celui que l'ex plume majeure du Figaro bordée d'une telle façon pour  l'auteur des Cloches de Bâle qu'il passât quasiment comme un traitre à sa classe dès passé l'ouest de la rue de Rome.

 

Coïncidence, Michel Peyret m'a fait passer une suite de texte de J. d'Ormesson où celui ci persiste et signe.

 

Le moins qu'on puisse en dire, c'est qu'il s'agit de tout sauf d'un point de vue communiste concernant celui qui assena ce monumental "j'ai choisi mon camp".

 

Contribution à l'anniversaire de la mort d'Aragon, La Canaille vous propose de saupoudrer ses publications de ces quelques articles de Jean D'Ormesson qui vont certainement en surprendre plus d'un. 

(Merci Michel)


http://boris-taslitzky.fr/dessins/guerre-Buchenwald/1942-1944-Riom-St-Sulpice/images/01fresque-saint-sulpice.jpg

« Et puis j'ai trouvé que le mur de ma baraque, était "tarte". En une nuit j'ai fait une fresque de 5 m sur 3 m, basée sur ce poème d'Aragon.» (Boris Taslitzky-camp de St Sulpice la pointe, Tarn)


 

L'ami secret

(1997)

Aragon est un et multiple. Il est un parce que, d'un bout à l'autre d'une vie constamment dominée au-delà des épreuves, il est fidèle à lui-même et à ses hautes ambitions servies par des dons prodigieux. Il est multiple parce que plus qu'aucun autre écrivain de son siècle il épouse son temps et ses phases successives. Pasticheur de génie, caméléon de son temps. Il est, à lui tout seul, l'image et le résumé de toute une série se manifestations et de tendanc es souvent différentes, parfois opposées et même contradictoires. Et il emballe le tout dans la splendeur d'un style incomparable qui le situe au premier rang des écrivains de son temps - et peut-être de tous les temps.

[...]

Aragon est un des fondateurs et une des chevilles ouvrières du surréalisme français. À cette époque, le jeune Aragon brille déjà de mille feux. Il est beau. Il est comblé de dons. Il manie la provocation comme personne et avec un talent éblouissant. Il écrit surtout des livres où éclate ce talent - et, par-dessus tout, un chef-d'oeuvre: Le Paysan de Paris. [...]

L'homme que fut Aragon au temps de sa jeunesse surréaliste [...]. La séduction même. Un charme puissant. La conscience de ce qu'il est et de ce qu'il doit être. Et, en même temps, quelque chose d'inquiet et de divisé contre lui-même. Une faiblesse qui s'allie étrangement à la puissance d'un personnage supérieurement doué.

[...]

[...] Surréaliste et communiste, Aragon est aussi l'héritier de plusieurs générations d'écrivains romantiques et classiques dont il retrouve l'élégance et la force.

[...]

Péguy, Apollinaire, Valéry et Claudel disparus, Aragon est dès lors le plus illustre des poètes français vivants et un écrivain d'une stature exceptionnelle qui s'inscrit dans la grande lignée de la littérature classique. Mauriac ne s'y trompe pas, et le situe à son juste rang qui est naturellement le premier. Journaliste, critique d'art, essayiste, polémiste, Aragon est présent sur tous les fronts [...]. Le rebelle, le surréaliste, le militant communiste, le poète national et populaire est devenu une sorte de poète officiel, massivement fêté, et un monument historique inlassablement visité.

Pour beaucoup d'entre nous, Aragon, loin de ces honneurs publics nés étrangement de leur refus, est un ami secret dont les mots de feu ne nous quittent pas. Il est à la fois la modernité même et un lien vivant avec une tradition qu'il incarne mieux que personne après l'avoir rejetée avec tant de violence. Il descend en droite ligne de Chateaubriand avec qui il partage, non seulement l'éclat du style et l'intelligence historique, mais le thème de Rancé qui, amant de la duchesse de Montbazon, entre à la trappe à la mort de sa maîtresse [...].

Au-delà du romantisme, il ne serait pas difficile de montrer qu'Aragon, poète de la révolte, théoricien de la rupture, renoue avec les classiques - il serait bien intéressant d'établir un parallèle, à première vue surprenant, entre Bossuet et Aragon - et avec notre admirable poésie du XVIe siècle.

Tel qu'il apparaît dans les photographies de Monique Dupont-Sagorin, Aragon est un immense écrivain qui traite de pair à égal avec les ancêtres honnis, étudiés avec soin et savamment prolongés. Il est secret, provocateur, contradictoire, suprême. C'est le plus fidèle des traîtres. Le mentir vrai l'habite. Il est puissant et faible. Il a besoin d'Elsa. Il a besoin du Parti. Les tentations venues de partout, des filles et des garçons, de la Révolution et de la tradition, du déchaînement et de l'ordre, du départ et du retour, du snobisme et de l'indépendance, ne cessent de le menacer. Il est capable de tout et il traduit avec splendeur ce qui l'agite et l'angoisse.

Aragon est le fils naturel de Lautréamont et de Rosa Luxemburg. Avec Rostand pour parrain. Il saute dans tous les trains de l'histoire sans jamais retourner sa veste. Si les communistes, par une de ces aberrations dont l'histoire n'est guère avare, avaient pris le pouvoir rn France, il reposerait au Panthéon à la place de Malraux, ou peut-être à ses côtés,

Rien n'est plus difficile que de deviner, à tâtons, le rang qu'occuperont dans la postérité les artistes d'aujourd'hui. [...] S'il fallait pourtant parier, je parierais qu'Aragon sera encore lu dans cent ans, et peut-être dans cinq cents, par des jeunes gens qui ne sauront plus rien, ou à peine, du communisme ni du surréalisme. Il prend place, sous nos yeux, aux côtés de Ronsard et de Baudelaire, de Saint-Simon et de Stendhal, de Chateaubriand et de Rimbaud, dans la formidable galerie des écrivains français.

Regardez-le. Il est de ceux qui ont changé l'image que nous nous faisons de la vie et qui ont conservé, embelli, magnifié l'instrument qu'à travers les âges lui ont transmis ses ennemis qui étaient aussi ses frères: la langue française.

Jean d'Ormesson, 1997

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