Les versaillais

Au moyen âge et même plus tard, miels et épices ont souvent servi à rendre présentables et ingurgitables des plats plus ou moins faisandés et souvent plus que moins.

C'est le cas d'une tribune libre du Monde de ce weekend.

Une brochette de radis noirs encadrant de la viande à réaction nous servent, baignée dans le miel de la parole pseudo tolérante, parole doucereusement épicée par des références philosophiques que les signataires, pour part issus  géographiquement de Versailles et ses idées historiquement, socialement et politiquement de leur rang,  ne propulsent pas au premier rang de leurs défenseurs. Un texte maurrassien ; l'Action Française maquillée en sœur sourire.

Outre qu'on notera que parmi les signataires de ce papier, ceux vivent des richesses produites dans le siècle ne sont pas maculés par les affres de la rigueur du travail concret, la pudeur n'est pas ce qui les étouffe.

Rien que le titre est glaçant :"Le symbole du Christ doit être respecté par les artistes". Titre tempéré, c'est le miel et la guitare de Dominique, par un sous titre globalisant sortant leur christ du champ initialement ciblé "mais les croyants n'ont pas à lancer d'anathème gratuits". Un texte qui réhabilite à lui seul tous les Daudet père et fils, les Maurras, tous les inquisiteurs pourvoyeurs de bûchers sur lesquels toiles et livres, les artistes les ayant offert au monde ont été purifiés par les flammes.

Une leçon de morale par ceux qui n'ont eu de cesse d'agir pour interdire à la justice de juger ceux des leurs accusés de pédophilie, ceux qui ont soutenu, bénit, et toujours  soutiennent, bénissent et accompagnent les violeurs du premier des dix commandements "tu ne tueras point", ceux qui ont toléré voire participé durant toute l'histoire aux gâteries diverses offertes pour assurer le repos des tueurs. Ceux qui au nom de la Morale interdisaient aux autres ce dont ils faisaient leur quotidien. Ce qu'ils appellent dans leur texte des racines chrétiennes vertus universelles. Ce serait presque risible si ce n'était si grave.

Pas le droit de toucher à l'image sauf pour la valoriser dans le sens voulu par la plus vieille multinationale du monde dont le vœu de pauvreté est inversement proportionnel au niveau de son portefeuille foncier et capitalistique et sa capacité de coercition des peuples pour le faire fructifier.

Contre toute évidence ils retournent l'ordre des facteurs pour justifier l'injustifiable :

"Il serait terrible que l'obscurantisme et la violence soient portés maintenant par les provocations trop faciles, et-hélas!- trop rentables, d'un athéisme mondain." Chaque gemme de ce bijou de pensée réactionnaire est à peser et mesurer pour ce qu'il porte de haine et de mensonge. Venant de la bigoterie versaillaise, faut le faire.

La Canaille qui est tout sauf mondain ne se revendique pas athée. Non pas qu'il soit visité par une présence extra rationnelle quelconque mais déjà se déclarer athée c'est s'inscrire dans la reconnaissance du concept un peu comme entrer dans le champ du pari de Pascal : a-Theo, nier dieu est déjà jouer sur son stade. Dieu, affaire privé pour ceux qui s'y réfèrent, n'est pas dans mon horizon et pour prendre de la hauteur mon ascenseur est plus efficace que les livres dit saint, par ailleurs intéressant à lire- ne serait-ce que pour découvrir le grand écart entre leur contenu et les anathèmes portés en leur nom par ceux qui les brandissent.

Nos pétitionnaires en exigeant que cette question deviennent le pivot de l'échange culturel nous promettent la renaissance des Torquemada. L'esprit de Versailles vous dis-je, à l'ombre de l'archi machin de Latran, sous la protection de leur Benoit très étroit, ils avancent.

Les mêmes qui n'ont de cesse, au nom de la liberté, de caricaturer (et pas question de le leur interdire) les valeurs de solidarité, d'égalité, d'internationalisme, d'émancipation que porte le mouvement progressiste, non seulement veulent interdire que leur médecine leur soit appliqué mais en plus justifie à priori les conséquences de leurs provocations.

Une rhétorique qui pourrait sans peine conduire à proférer des choses du genre "provocations trop faciles … de ces femmes qui se font avorter ou usent de contraceptifs" qui justifie qu'on aille manifester devant les cliniques (et ils le font) comme devant les théâtres (c'est l'actualité) qu'il ne soutiennent pas …mais comprennent, valider le feu au cinéma (on l'a vu), et pourquoi pas bientôt devant les écoles publiques qui refusent de mettre nos chères têtes blondes –surtout les blondes- sous la protection de ces intouchables bout de bois  ligaturés à l'équerre.

Aujourd'hui où les cocktails Molotov dans les rédactions  sont dans l'air du temps, accepter que les signes extérieurs de prosélytisme processionnaire (tous) disposent d'un statut équivalent aux valeurs de la République doit être radicalement combattu.

La revendication avancée par la bande de congrégationalistes du 21^ème siècle, considérer que la référence au blasphème peut avoir droit de cité, montre le niveau de la régression proposée.

Jean Michel Ribes dans les colonnes voisines réplique par un réconfortant "Quel est ce sacré qui tremble devant le rire" plein d'idées réjouissantes et d'une saine colère. Sauf que ce n'est pas devant le rire qu'ils tremblent, ils sont les Tartuffes de notre siècle : regardez le christ extatique et cachez moi ce sein qu'ils ne sauraient voir, c'est celui de Marianne, la République et ses valeurs. Laïcité, la libre pensée et le droit à la religion comme une affaire d'ordre privée qui ont porté l'exigence démocratique contre ceux dont la chaine lowcost à haute rentabilité Vatican and c° et ses "Thinktank" hébergés dans des murs construits par le servage pour ces actionnaires persistent à vouloir reprendre la main.

Attaques contre "la modernité" qui a "relégué dans l'espace privé la question de la foi"  et il pousse les feux jusqu'à faire d'un déni de culture le fait pour les états d'avoir renoncé sous la pression des peuples de graver "les racines chrétiennes de l'Europe" fermez le ban. Chaque expression de la référence religieuse dans l'espace culturel est considérée à priori comme une provocation amenant à des crispations qui sont causes (justifications?) des actions de commando actuelles.

Baissant le pont levis de leur forteresse idéologique ils annoncent une sortie où au détour de "vœux miels" cet aveux sur la nature du met : "risquer l'aventure de l'écoute". Nos bigots du 21^ème siècle se proposent, constat de leur réclusion autiste, à se confronter au "monde intellectuel, culturel, politique et médiatique français" mais attention ils n'entrent pas dans le siècle, c'est à ce monde d'accepter de leur répondre. A peine sortis, ils se réfugient dans leur abbaye fortifiée et condescendent à entendre.

Dans son papier à propos de l'attentat fasciste contre Charlie hebdo La Canaille pointait ce risque de ne focaliser que sur une des facettes de l'intégrisme. Cet appel au style d'un jésuitisme accompli montre que cette mise en garde n'était pas qu'une vue de l'esprit.

Outre son coup de gueule, La Canaille fait sienne la conclusion de JM Ribes :

"Une bonne nouvelle pour finir, tout n'est pas foutu. Il y a quelque temps on a de nouveau érigé, square Nadar à Paris, la statue du chevaler de La barre, brûlé le 1^er juillet 1766 à l'âge de 19 ans, pour ne pas s'être découvert devant le saint-sacrement".

En plus, chez Nadar. L'homme qui a tant fait pour renvoyer aux hommes l'image réelle de ce qu'ils sont.