Quel point de vue communiste ?
Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, nous sommes en campagne électorale.
Enfin "nous" ; disons toutes les composantes de la droite, de la classique, social-démocratie comprise, à son extrême la plus sordide (les autres dès lors ne l'étant qu'un peu moins) et, surgeons du même tronc commun dopée à l'extrait sec de "rocardisme lambertisme", une sociale démocratie prétendant, seule en lice, incarner une gauche à vocation institutionnelle.
Un constat : l'idée communiste est aux abonnés absents.
Peut-être faut-il se demander pourquoi cette absence ? C'est un choix.
Le parti qui portait le projet communiste, à force de se cantonner dans un refus de renverser la table et de s'en tenir au tabouret pour garder les sièges sans traiter des dossiers s'est automatiquement éliminé du tour de table.
Pourtant il disposait des outils d'analyses et d'actions pour tenir sa place et imposer aux autres des solutions.
Aujourd'hui de ses trois premiers dirigeants nationaux toujours vivant, tout en portant discrètement le choix de son organisation à voter Mélenchon le titulaire du poste courtise Hamon, la deuxième est candidate dans le staff de Melenchon et le troisième soucieux d'avoir pris du retard dans la course aux maroquins se dirige ventre à terre chez Macron.
2017 : pas de point de vue communiste dans une France qui à besoin de construire son issue à une crise violente, cela dans ce calendrier aussi focaliseur de débat. Personne qui ne pose de façon concrète la question du carcan supranational étrangleur de toute souveraineté comme couvercle à faire sauter, cette UE au main du capital, une UE qui structure toutes les régressions sociale politique économique.
En 1957, Etienne Fajon produisait dans l'Humanité (alors journal communiste) un édito qui devrait être donné à lire à quiconque désire porter un point de vue anticapitaliste dans le débat politique.
Ce texte n'a fait que mûrir et n'a pas pris une ride.
Les surlignages sont de Canaille le Rouge.
14 janvier 1957 Etienne fajon député communiste de la Seine et membre du bureau politique du Parti communiste français (PCF), Edito dans l'Humanité :
"Marché commun" contre la France L'Assemblée nationale reprend ses travaux demain. En tête de son ordre du jour figure un débat sur le projet de création du « Marché commun européen ».
Le « Marché commun » s'étendrait à six pays : Allemagne occidentale, France, Italie, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg. Il s'agit d'instaurer progressivement, au sein de ce morceau d'Europe, la libre circulation des marchandises, des capitaux et de la main-d'œuvre. Selon les promoteurs du projet, le « Marché commun » contribuerait à la prospérité de la France et au bonheur de son peuple.
Pour apprécier la valeur de ces promesses, il importe de se rappeler que le « Marché commun » n'est pas la première étape de la prétendue construction européenne. En 1951, déjà, la « Communauté européenne du charbon et de l’acier » avait été créée entre les six pays. Son inspirateur, le funèbre Schuman, assurait qu'elle devait aboutir à la baisse des prix et à l’essor de notre industrie. Les résultats sont maintenant connus : hausse de l'acier et du charbon, fermeture d'une centaine de puits de mine en France, interdiction d’utiliser notre charbon selon nos besoins, dépendance aggravée de l’économie française à l'égard des monopoles allemands.
Le projet de « Marché commun » s’inscrit dans une même politique néfaste pour la nation, pour la classe ouvrière et pour la paix.
1. L'association envisagée est une association économique entre pays capitalistes, c'est-à-dire qu'elle est soumise aux lois de la concurrence et du triomphe des plus forts. Or, dans l'Europe des Six, c'est l'Allemagne occidentale qui dispose de loin du potentiel le plus élevé.
Dès 1955, elle produisait deux fois plus de charbon, d'acier et d'électricité que la France. Sa production chimique est le triple de la nôtre. Ses réserves d'or, infiniment supérieures, lui confèrent d'immenses possibilités d'investissement de capitaux. La domination du « Marché commun » par les monopoles allemands serait donc certaine et rapide. Elle aurait pour conséquence l'arrêt de nombre de nos entreprises. Elle préparerait en fin de compte la désindustrialisation de la France et l'hégémonie du capitalisme allemand dont Hitler et Pétain avaient fait leur programme. Notre patrie perdrait ainsi, tout en se ruinant, les bases économiques de son indépendance nationale.
2. Le projet comporte l'unification progressive des charges sociales entre les six pays. C’est là une menace très grave pour les travailleurs français.
En effet, grâce aux luttes ouvrières, grâce aux conquêtes sociales obtenues aux temps du Front populaire et de la Libération, quand les communistes faisaient partie du gouvernement ou de la majorité, le niveau des salaires en général et des salaires féminins en particulier, le taux des heures supplémentaires, le régime des congés payés, sont supérieurs en France par rapport à l'Allemagne occidentale ou à l’Italie.
Il est vrai qu'on fait miroiter aux travailleurs la promesse d'une unification par en haut. En réalité, la recherche du profit maximum par les trusts des six pays et le déchaînement de la concurrence entre eux conduiraient nos capitalistes, particulièrement menacés par leurs rivaux allemands, non seulement à s'attaquer à des «charges» sociales qu'ils ont toujours dénoncées, mais à renforcer leur opposition à toutes les revendications ouvrières. Et l'offensive des exploiteurs serait favorisée par la présence sur le « Marché commun » d'une armée permanente de chômeurs, déjà importante en Italie et en Allemagne, grossie demain par la mort des usines françaises les moins bien armées pour résister.
Quand les partisans du « Marché commun » tentent de nous rassurer en indiquant que leur projet prévoit des « étapes » et contient des « clauses de sauvegarde », ils ne font que confirmer involontairement notre cri d'alarme. C'est seulement sur les chemins dangereux qu'on installe des garde-fous.
3. Funeste par lui-même, le projet de « Marché commun » l'est bien plus encore si on l'examine dans l'ensemble dont il fait partie. Il est inséparable en effet de deux autres projets également en cours 3/3 d'élaboration : l’« Euratom », qui offre au militarisme allemand revanchard l'accès aux riches ressources atomiques de la France et la possibilité de produire des bombes nucléaires ; l'« Eurafrique », prônée par Guy Mollet dans sa dernière déclaration, qui prétend ouvrir les pays africains à l'investissement des capitaux allemands et plus tard, par voie de conséquence, aux plans stratégiques de la Wehrmacht.
Nous assistons ainsi, au mépris de l'intérêt national, à une entreprise de revanche de la CED, à une relance de la guerre froide, à la tentative de dresser contre la partie socialiste de l'Europe une Europe capitaliste agressive, où la France aliénerait plus encore sa souveraineté et où la domination appartiendrait bien vite aux militaristes allemands, vassaux préférés de l'impérialisme américain.
Guy Mollet et d’autres dirigeants socialistes se consacrent à cette politique « européenne » avec d'autant plus d'ardeur qu'elle constitue par excellence, sur le plan intérieur, la base d'alliance entre le Parti socialiste et la réaction cléricale des Bidault et des Pinay.
« La restauration de la solidarité européenne est le vrai besoin de cette période», a proclamé le pape dans son message de Noël, en faisant allusion à l'Europe capitaliste.
« Le gouvernement français — répond quelques jours après l'ambassadeur de France au Vatican — s'attache à traduire dans les faits les règles de conduite et de pensée si magistralement définies par le Souverain pontife ».
En bref, le « Marché commun » n'a rien à voir avec l'indispensable réconciliation franco-allemande, avec la coopération nécessaire des peuples d'Europe, avec la paix. Il n'est qu'une pièce de la «petite Europe» vaticane, d'une politique exécrable de réaction et de guerre.
Nous sommes, quant à nous, des partisans convaincus de l'amitié entre la France et l'Allemagne. Mais cette amitié passe par l'entente et la solidarité avec le peuple allemand, avec les sociaux-démocrates et les communistes d'Allemagne occidentale, avec les puissants syndicats ouvriers, avec la République démocratique allemande. Elle ne passe pas par l'assujettissement de la France aux magnats de la Ruhr et aux anciens nazis dont Adenauer est le porte-parole.
Nous voulons de tout cœur la coopération économique de l'Europe, mais de toute l'Europe, des pays capitalistes et des pays socialistes, dans le respect de l'indépendance de chacun et dans l'intérêt de tous.
Nous aspirons fermement à la paix européenne. Mais cette paix exige justement l'abandon de la division de l'Europe en deux blocs militaires hostiles. Elle suppose au contraire l'élaboration d'un pacte de sécurité collective entre tous les pays d'Europe sans distinction de régime social et, à partir de là, une politique hardie de désarmement contrôlé.
C'est cela qu'il faut opposer victorieusement, pour l'avenir de la France, dans l'intérêt des travailleurs et de la paix, à une Europe-croupion qui aurait l’impérialisme américain comme suzerain et le Vatican comme centre politique, avec les Krupp et les Thyssen à la direction de son économie et les généraux d’Hitler à la tête de ses armées. Étienne Fajon
Le personnel politique a changé. Le paysage politique a été bouleversé. La lutte de classe est toujours là. L'impérialisme et le capital ont marqué des points. Pour autant le fond et pour grande part la forme de la dénonciation reste d'actualité.
Refuser de porter ce débat sur le fond dans l'affrontement idéologique, plus que tous les regrets, accusations, anathèmes est la démonstration de la disparition dans notre pays d'un point de vue communiste qui aiderait notre peuple à construire son alternative.
Et vous voudriez que dans ce paysage Canaille le Rouge s'engage derrière des porteurs d'illusions ou des promoteurs d'impasses au nom de la lutte indispensable contre les aiguilleurs du fiel ?