Mais pas un casse-croûte bien au contraire
quand les élus (ici dans les P.O.) organisent avec l'argent public la concurrence contre la SNCF se mettant ainsi au service des gros chargeurs
Le secrétaire général de la fédération CGT des cheminots a été invité à participer à un "colloque sur la concurence ferroviaire", au Sénat, organisé par l'institut national de la consommation.
Quand la parole lui a été donné, voici ce qu'il a dit et qui a vocation a être distribué aux usagers et aux élus locaux.
Au risque de déplaire aux organisateurs, la CGT a décidé de populariser la déclaration de Gilbert Garrel.
Quand on parle service public, privatisations, concurence, voici quelques données qui aideront chacune et chacun à argumenter.
Mesdames, Messieurs,
Très honnêtement, quand j’ai eu cette invitation de l’institut, j’ai salué le fait que la CGT soit invitée mais je me suis demandé ce que j’allais y faire. Car j’ai regardé les différents thèmes des tables rondes et je me serai bien vu dans une table sur la pertinence d’ouvrir à la concurrence mais elle n’existait pas.
Je vais essayer de ne pas être hors sujet, ni d’être trop long mais avec ce que j’ai entendu, imaginez pour un militant CGT : on est dans la pensée unique, on est dans le dogme. On a entendu une succession d’intervenants pour qui la concurrence est inéluctable et qu’il faut donc l’accepter.
J’ai entendu également parler de l’évolution de SNCF entre 1983 et 1997 ; d’ailleurs, il y en a beaucoup qui en 1997 saluait la séparation entre la SNCF et RFF, les mêmes qui aujourd’hui nous disent que c’est une aberration. Et effectivement, la CGT disait, et pas que la CGT, en 1997 séparer la roue du rail et créer une entité pour mettre une dette sous le tapis, ce n’est pas une solution pour améliorer le système ferroviaire.
Il y a une date qu’il faut rappeler systématiquement : c’est 1938, année de la création de la SNCF alors que les entreprises privées étaient en faillite et ne répondaient pas aux besoins de la Nation.
Et cette date, il ne faut pas oublier. Il faut, quand on parle de concurrence d’un service public, réfléchir à la notion même de service public. J’ai entendu tout à l’heure que pour certains le TGV n’était pas un service public ; que les TET c’était limite un service public et puis que le service public c’était surtout les TER. Mais pour les cheminots, le service public c’est tous les trains. Je vais même plus loin : pour nous, dans notre conception, c’est comment on crée les conditions de l’accessibilité à tous les trains pour tous les citoyens. Et là on a quelques définitions qui montrent que certains services publics sont aujourd’hui largement oubliés.
Aujourd’hui, il faut le dire très clairement, l’ouverture à la concurrence ne peut que dépendre de choix politiques. Ce qui signifie qu’il n’y a rien d’obligatoire, rien d’inéluctable : soit on choisit politiquement en France d’ouvrir à la concurrence l’ensemble des activités ferroviaires, soit on ne le choisit pas. Vous savez, même très récemment, lorsqu’on nous dit, « c’est l’Europe qui… » on a tout de même vu, lors de la crise financière, des orientations européennes mises sous le tapis lorsqu’il s’agissait de refinancer les banques. Je crois qu’au niveau de l’Europe il faut créer les conditions pour qu’il y ait un droit de subsidiarité des Nations sur des questions comme les services publics.
On nous parle de l’application des directives européennes. Je rappelle que la directive 91-440 qui fixait les conditions progressives de l’ouverture à la concurrence, prévoyait un retour d’expérience avant 2015. Or aujourd’hui, plus personne ne parle du retour d’expérience nécessaire avant de passer à une étape supérieure de l’ouverture à la concurrence et de la libéralisation.
Après j’ai entendu tous les bienfaits de la concurrence. Mais citez-moi un service public libéralisé qui a été bénéfique pour les usages, bénéfique pour les salariés. Qu’on m’en cite un, un seul. On peut tous les prendre. Télécommunications : on me dit c’est bien mais quand je vois des affiches de la RATP disant votre téléphone peut susciter de la convoitise, cachez-le, cela signifie qu’il y des téléphones pour les riches et des téléphones pour les pauvres. Énergie : regardez ce qui se passe au niveau de la précarité énergétique en France qui n’a jamais été aussi élevée. Santé : aujourd’hui, il y a une santé pour les riches, une pour les pauvres et dans les territoires, on ferme des centres de santé car pas suffisamment rentables. Aérien : je n’ai pas envie qu’on fasse demain des listes grises, des listes noires d’entreprises ferroviaires. On peut parler comme ça des Universités, de l’eau, des autoroutes, de l’aérien, de la poste…
Il n’y a pas une libéralisation d’un service public qui a été profitable aux usagers en termes de qualité et de tarifs, il n’y en a pas une surtout qui a été profitable aux salariés puisque ça c’est systématiquement traduit par une régression sociale.
En France, on a l’exemple du fret. Il y a certes un nombre de tonne.km transporté par rail qui a été divisé par deux depuis l’ouverture à la concurrence. On peut me dire qu’il y a eu une baisse du trafic, de l’activité, mais divisé par deux ! Mais il y a surtout les infrastructures : on avait les triages les plus modernes d’Europe, 21 pour faire des wagons isolés. Il n’y a plus que 3 triages qui fonctionnent en France et sur les 3, il se triait avant environ 1800 à 2000 wagons/jour, alors que maintenant il se trie environ 500 et 1000 wagons/semaine. Ce qui fait que ces chiffres, vous pouvez les multiplier par 21 et vous le traduisez en nombre de camions sur les routes.
Parce que les entreprises ferroviaires privées n’ont pas pris une tonne de wagon isolé, une tonne de messagerie ; elles se sont toutes concentrées sur du train complet, du train facile à réaliser.
On a entendu ce matin des intervenants européens, dont la plupart sont des promoteurs de la concurrence en Europe mais j’aurais aimé qu’il y ait des syndicalistes, suédois, allemands, anglais qui vous disent très concrètement, socialement, en termes de qualité et de management de la sécurité, comment s’est réalisée l’ouverture à la concurrence dans leur pays. Et là on se rend compte que la réduction des coûts passe inexorablement par une baisse de la qualité, par une baisse du niveau de sécurité et par une régression sociale des salariés.
Après, il y a des situations qui sont porteuses d’espérance. Quand l’Association des Régions de France sort un manifeste en disant qu’elle ne veut pas de l’ouverture à la concurrence, c’est bien.
Et il faut impérativement qu’on s’appuie sur les autorités organisatrices de transport qui disent que le problème ce n’est pas la concurrence mais les relations avec la SNCF, l’organisation du système, le financement du système.
Quand on parle de statut social et quand on voit qu’à ECR, filiale de la Deutsche Bahn, les salariés ont dû faire sept jours de grève pour faire appliquer la convention collective, pour faire respecter leurs droits et non pas pour conquérir des droits meilleurs. Parce que chez ECR, des conducteurs roulent pendant treize heures, font des journées de 17-18 heures, parce qu’ils n’ont aucune programmation, parce qu’ils n’ont plus aucune vie privée, etc.…Alors si c’est ça l’image de la concurrence, sachant qu’apparemment ECR ne fait même pas de profit !
Quand on parle de concurrence, tout est parti du rapport Grignon commandé par le précédent gouvernement en 2010 et qui a abouti sur les assises du ferroviaires, lesquelles ont fait émerger deux éléments importants. L’un est que l’organisation du système, sa gouvernance ne fonctionne pas en France et qu’il faut réunifier tout ça et pas seulement le gestionnaire d’infrastructure mais le système dans son ensemble.
L’autre est qu’il y a un gros problème de financement parce que quand on nous cite le modèle allemand qui coûte moins cher, on n’oublie de dire qu’il a été désendetté deux fois ; une première fois lors de la réunification des deux Allemagne et une deuxième fois suite à la directive 491-440 que les Allemands, eux, ont appliqué. Alors certes, si on n’enlevait aujourd’hui - je ne parle même pas des 32 milliards – les 15 milliards de la dette RFF liés à la création des lignes à grande vitesse, ce ne serait pas 30 à 40% du transport quotidien des trains qui serviraient à rémunérer l’infrastructure.
Aujourd’hui, les trains servent à rémunérer les banques. On dit qu’il manque entre 1,5 et 2 milliards au système ferroviaire en France quand RFF sort 1,7 milliard par an d’intérêts aux banques, suite à une dette qui est une dette d’aménagement du territoire.
J’entends également tout ce qu’on dit sur les cheminots, leur productivité, leur coût, etc.…Or, si on fait un calcul tout simple en prenant le périmètre TER en 2002 et aujourd’hui : en 2002, on avait 1 cheminot pour 471 voyageurs.km.train alors que maintenant on en est à 1 cheminot pour 691 voyageurs.km.train, soit plus de 30% de productivité.
Et puis, cette fameuse réglementation du travail des cheminots, combien de Français travaillent 7 jours sur 7, 24h sur 24, fériés, dimanches compris ? Combien de salariés en France ont une telle souplesse ? On en trouve très peu : les hôpitaux, les pompiers, quelques professions, pas plus. Ce qui signifie qu’à partir de telles contraintes liées au service public, qu’on ne renie pas, qu’on veut assumer, il faut qu’en face il y ait une véritable compensation en termes de jours de repos pour qu’il y ait un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, parce qu’il faut préserver la santé physique et mentale, parce qu’il faut préserver la sécurité des circulations…
Autant d’éléments que je n’arrive pas à retrouver dans les débats.
Lorsque le Ministre des transports a fait une convention nationale du Fret, on a entendu des choses amusantes : le Medef a dit qu’il fallait subventionner les entreprises si on veut qu’elles soient embranchées au rail, le patron de « Modalohr » a dit qu’il fallait subventionner la construction de wagons pour mettre des camions dessus, les représentants des transporteurs routiers ont dit qu’il fallait les subventionner pour qu’ils mettent leurs camions sur des rails.
Les mêmes qui se plaignent en permanence des impôts veulent des subventions de l’État.
Il va falloir quand même avoir un peu de logique dans le raisonnement. J’entends dire depuis ce matin qu’il y en a assez de subventionner par de l’argent public une entreprise publique mais si demain les entreprises privées, qui génèrent quelques bénéfices pour leurs actionnaires, étaient subventionnées, ça ne serait pas si grave que ça ?!
Pour répondre quand même à la question de la table ronde : pour nous les cheminots, une ouverture à la concurrence réussit, ce n’est pas de concurrence du tout.
Et même mieux, c’est faire en sorte que le fret ferroviaire, et notamment la messagerie ferroviaire, soit reconnu comme une activité d’utilité publique, donc comme un service d’intérêt général, et qu’on subventionne la SNCF si on veut créer les conditions d’un report modal de la route vers le rail.
Je suis désolé, je suis un peu à contre-courant du débat d’aujourd’hui mais je crois que j’ai été un peu aussi invité pour ça.